Quand l’euthanasie fait débat, l’évolution des soins palliatifs ralentit. Pour Tanguy Châtel, sociologue et auteur du livre Vivants jusqu’à la mort, l’acharnement thérapeutique, ou obstination déraisonnable, est souvent traitée sous forme « caricaturale », à tel point que l’information qui l’entoure est insuffisante pour les familles. Et pourtant, il peut être vécu comme un traumatisme au détriment du processus de deuil. Décryptage.

Qu’est-ce que l’acharnement thérapeutique ? 

Tanguy Châtel : La notion d’acharnement thérapeutique est apparue dans les années 70, avec les progrès de la médecine, notamment dans la lutte contre le cancer. Les familles ont dénoncé les effets secondaires des traitements qui s’avéraient très brutaux. Ça a également été le point de départ de la réflexion sur la légalisation de l’euthanasie en France.

Aujourd’hui, et depuis la Loi Leonetti de 2005, on parle plutôt d’« obstination déraisonnable ». Tout médecin doit s’obstiner pour améliorer la santé de son patient, mais il ne doit pas le faire de manière déraisonnable et excessive. Il faut prendre en compte les dimensions psychologiques et relationnelles, non seulement thérapeutiques. Il faut savoir que, sauf en situation d’urgence, aucun acte médical ne peut être entrepris sans avoir recueilli au préalable le consentement éclairé du patient.

Dans ces conditions, quel est le rôle des directives de fin de vie ?

Tanguy Châtel : Les directives anticipées ont été prévues par cette même loi. Elles permettent au patient d’exprimer par avance ce qu’il souhaiterait ou non pour sa fin de vie, et ont vocation à s’appliquer quand celui-ci ne peut plus exprimer sa volonté. Depuis la Loi Claeys-Leonetti de 2016, ces directives ont une force encore plus importante, elles s’imposent aux médecins. Toutefois il est possible d’y déroger, notamment lorsque la personne a émis un avis sans comprendre les enjeux médicaux. Elles doivent donc être davantage considérées comme un outil qui permet de dialoguer et non pour imposer au médecin ce qu’il doit faire.

Quelles souffrances l’obstination déraisonnable peut-elle engendrer pour la famille ?

Tanguy Châtel : La famille peut surtout faire face à deux types de souffrances. Elle peut d’un côté ressentir le faire de ne pas avoir été écoutée quand des décisions sont prises sans recueillir son avis, et peut d’un autre côté, subir un poids moral relatif à une prise de décision lourde de conséquences. Par exemple, décider de l’arrêt du respirateur d’un parent. Là encore, il faut être dans une démarche de dialogue entre les familles et le médecin, car si les droits des patients ont progressé, la famille et le patient ne décident pas seuls. La situation peut se présenter de manière abrupte dans le cas où ils ne sont pas préparés, supposant un niveau de connaissances scientifiques mais aussi éthiques et juridiques.

Le deuil se vit-il de la même façon en cas d’acharnement thérapeutique subit par le défunt ?

Tanguy Châtel : Par une enquête menée en 2016 sur le deuil, on sait que ce qui fait en grande partie la qualité du deuil est la qualité de la fin de vie. Moins une personne en fin de vie est accompagnée, plus c’est un risque pour la famille de vivre un deuil compliqué. Elle souffrira de la perte d’un proche en plus des souffrances expliquées précédemment. L’obstination déraisonnable peut se présenter comme une violence supplémentaire, et se traduire par des actions en justice pour exiger réparation. Les familles ont souvent un sentiment d’injustice et de violence.

Suffisamment de soins palliatifs, le temps de se séparer et la maîtrise de la douleur autant que possible, permettent un départ plus apaisé. Ça passe aussi par une cérémonie funéraire bien tenue. On commence justement à voir les conséquences des restrictions pendant la pandémie. Et ce n’est pas négligeable quand on sait que le deuil se fait dans les 3 et 5 années qui suivent le décès.

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