En septembre 2021, une étude menée par l’Observatoire de la philanthropie et Daniel Bruneau indique que près de 1,353 milliards d’euros ont fait l’objet d’un legs ou d’une donation en 2019. A l’approche des vingt ans de l’association Laurette Fugain, Stéphanie Fugain, maman de la regrettée Laurette et fondatrice de l’association, a répondu à nos questions sur le sujet. Entre une volonté de fer d’honorer chaque legs quel qu’il soit, de respecter l’histoire d’une vie derrière chaque donation, et de remettre l’humain, l’espoir, la solidarité au centre de chaque action, Stéphanie Fugain a partagé avec nous l’histoire de dons bien plus que financiers : des dons d’amour. Rencontre avec cette maman qui mène un véritable combat contre la maladie, toujours empreint d’un regard authentique et vrai porté sur autrui.
Stéphanie, pourriez-vous tout d’abord rappeler ce qu’est un legs ou une donation ?
Stéphanie Fugain : La donation et le legs sont des dons gratuits qu’on appelle « des libéralités ». La donation est réalisée du vivant du donateur. Elle doit faire l’objet d’un acte authentique devant un notaire de préférence, sinon elle sera considérée comme « nulle ». Le legs, quant à lui, peut faire l’objet d’un acte authentique mais également faire l’objet d’un simple écrit par le biais d’un testament olographe. La donation et le legs se distinguent du don « manuel » en cela qu’ils ne peuvent bénéficier qu’à certains types d’associations et sont soumis à une formalité de déclaration auprès de l’autorité administrative. Cela signifie qu’à chaque legs, nous devons demander l’autorisation et la reconnaissance de l’association visée par le legs à la préfecture. Désormais, les mesures ont été allégées et simplifiées.
Existe-t-il par ailleurs, différents types de legs, de donation à une association ?
S.F. : Il y a effectivement plusieurs appellations entourant la donation. Elle se veut « universelle » lorsque vous léguez l’intégralité de votre patrimoine sans distinction à l’association. Ensuite, la donation à « titre » universel concerne une fraction de vos biens, une quote-part (des maisons, des terrains, des immeubles). Une donation à « titre particulier », cette fois-ci, permet de donner des biens particuliers. Par exemple, nous recevons régulièrement des legs de comptes bancaires que les gens ont alimenté tout au long de leur vie pour reverser les sommes à l’association Laurette Fugain à leur décès.
Que faites-vous des biens immobiliers que vous recevez ?
S.F. : La plupart du temps, nous revendons les biens car l’argent de la vente nous permet de financer la recherche contre la maladie. Mais ce n’est pas toujours le cas. En effet, il y a maintenant cinq ans, une personne nous a légué un appartement en plein Paris, proche de Montparnasse. Cet appartement nous permet d’avoir des bureaux dans la capitale afin d’accueillir les équipes, mais aussi nos rendez-vous.
Est-ce que les Français peuvent émettre des souhaits bien particuliers autour des dons ?
S.F. : Absolument ! Personnellement, si je devais léguer ma maison, j’aurais peut-être envie de savoir qu’elle ne sera pas vendue tout de suite et qu’elle servira à autre chose. Une école, un centre d’accueil… J’aimerais imaginer qu’elle puisse continuer à vivre. Quand je rencontre des gens, j’ai envie aussi de les rassurer sur la façon dont l’argent légué est utilisé. C’est d’ailleurs davantage pour les dons financiers que nous avons des demandes précises. Certains donateurs souhaitent que leur don serve uniquement à la recherche. D’autres nous disent de l’utiliser là où il y a des besoins. Et j’insiste sur ce point : nous respectons toujours les volontés des donateurs. Si le legs doit aller à la recherche, il ira à la recherche. S’il a vocation à améliorer la vie des malades à l’hôpital, ça ira à l’hôpital. Je trouve ça essentiel car cela concrétise le don et lui donne une histoire. Vous décidez de l’attribution de votre argent et c’est normal. Les gens me disent souvent qu’ils veulent nous léguer leurs biens car ils savent qu’on les utilisera à bon escient et dans le respect de leurs volontés, et ça, c’est le plus beau des compliments.
Y a-t-il des préconisations autour des donations que les Français pourraient ne pas connaître ?
S.F. : Tout à fait. Il faut savoir que les dons idéaux entourent les donations pour lesquelles nous sommes les seuls légataires. Le processus est alors beaucoup plus rapide. Lorsqu’une personne souhaite réaliser un legs auprès de plusieurs associations et de sa famille, les choses se compliquent parfois. Les formalités peuvent alors durer des années. Par exemple, un monsieur nous a légué son appartement, mais aussi plein d’autres choses à diverses associations. La donation est toujours en attente, puisque pour qu’un legs soit transmis, tous les donataires doivent avoir donné leur accord, or dans ce cas de figure, le défunt lègue aussi des biens à deux personnes de presque cent ans, qu’il est difficile de contacter et qui ne répondent plus. Le notaire doit alors faire tout un travail de recherche de descendants ! Dans notre histoire, il y a une trentaine d’héritiers potentiels. Alors, l’une des associations a renoncé au legs. Dans notre cas, l’association a un appartement en attente. On n’y est jamais allé, c’est fermé depuis plus de quatre ans. On ne sait pas non plus ce qu’il y a dedans, dans quel état est le logement. La question se pose de renoncer ou non également au legs car s’il parvient un jour à être débloqué, qu’en sera-t-il de l’appartement ? Et en même temps, si l’on renonce au legs, l’argent va directement à l’Etat et nous trouvons cela dommage. J’encourage donc vraiment les gens à envisager les legs avec un notaire, afin que leurs volontés soient respectées dans la mesure du possible et réalisables.
Nous comprenons donc qu’il s’agit d’un véritable travail de concert avec les notaires. Comment se passe cette collaboration ?
S.F. : Personnellement, j’ai besoin de vivre des choses sincères emplies de valeurs. C’est la raison pour laquelle je prends autant de temps afin de mettre les legs en règle. Aujourd’hui, c’est important d’aller faire le tour des notaires, de les rencontrer. Les notaires n’ont pas une belle image des associations. Certaines personnes peinent alors à léguer leur patrimoine à une association ou ne sont pas bien conseillées. Le notaire doit donc accompagner son client s’il souhaite léguer à une association. Pendant le Covid, j’ai souhaité répertorier toutes les chambres de notaires qui existent pour leur demander s’il était éventuellement possible lors de leur grand-messe annuelle, de venir présenter l’association. Il ne s’agissait pas de mettre l’association Fugain plus en lumière qu’une autre mais simplement d’informer les notaires sur l’existence d’une association telle que la nôtre pouvant répondre aux envies de donation d’un particulier sensible à la cause des enfants malades. Aussi, j’ai fait tout un travail pour les rassurer, répondre à leurs questions, leur dire qu’on est habilité et habitué à gérer avec beaucoup de sérieux ces legs pour qu’après, ils puissent accompagner les particuliers correctement.
Comment a évolué le don depuis la création de l’association Laurette Fugain dans un contexte post covid, où l’humain redevient l’essentiel, mais doit faire face à des difficultés financières pour joindre les deux bouts en fin de mois ?
S.F. : De toute évidence, la donation est maintenant assez régulière et concerne tout le monde. On reçoit entre trois et quatre legs par an, de dizaines à plusieurs centaines de milliers d’euros. On pourrait croire que seules les personnes atteintes de Leucémie ou ayant un proche malade se sentent concernées par la donation. Pourtant, ce n’est pas toujours le cas. L’appartement parisien dont je vous parlais nous a été donné par une personne très touchée par notre combat et qui suivait l’association depuis longtemps. Je dirai aussi qu’au fil du temps, les Français se tiennent de plus en plus informés et osent poser des questions. Alors, il faut vraiment qu’on soit très précis et professionnel dans nos réponses. Il ne s’agit pas seulement de faire de la publicité, il s’agit aujourd’hui d’un accompagnement. J’aime beaucoup prendre contact avec les gens qui me posent des questions un peu complexes dans les courriers que je reçois. Je mets un point d’honneur à répondre à tout le monde, et par téléphone quand il s’agit de questions. Une discussion tout à fait amicale démarre, un moment d’échange durant lequel je réponds aux interrogations autour du legs, de la donation. Et lorsque peu de temps après, j’apprends que cette personne est malheureusement décédée par le biais du notaire et de la nomination d’un legs, je suis extrêmement touchée. Je trouve cela extraordinaire, après s’être renseigné et avoir eu un simple échange avec moi, qu’une personne décide de son vivant de nous léguer son patrimoine. Aujourd’hui, les gens viendront vers votre association s’ils ont confiance, s’ils savent que leur patrimoine sera utilisé à de bonnes fins, qu’il sera respecté et estimé.
Il y a vingt ans, le système de dons sur l’ordinateur n’existait pas encore donc je recevais beaucoup de dons par courrier, accompagnés de petits mots très poignants. Certaines personnes nous donnaient un billet de 5€ en nous disant qu’elles n’avaient pas de travail mais qu’elles trouvaient que l’association était fantastique. Ces personnes voulaient avoir le sentiment d’avoir contribué à notre cause de parents ayant perdu leur fille d’une leucémie. Je les ai remerciés en leur disant que ces cinq euros allaient servir à la recherche et que ce don a autant de valeur, de sincérité, qu’un don de plusieurs centaines ou milliers d’euros. Derrière ces dons, il y a parfois une vie difficile. C’est encore une histoire, quelqu’un qui a été touché par notre combat donc ces dons sont tous aussi respectables les uns que les autres.
Vous prenez donc contact avec beaucoup de potentiels donateurs ou personnes en quête de réponses. Pourquoi est-ce si important pour vous, de prendre ce temps-là, d’écouter, d’accompagner ?
S.F. : J’ai pris conscience à quel point beaucoup de personnes vivent seules. Elles ont perdu leur mari ou leur femme, n’ont pas d’enfant et veulent transmettre une part d’elles-mêmes à notre association, parce qu’elles ont été touchées. Par exemple, une femme d’une soixantaine d’années dans cette situation m’avait eue au téléphone à plusieurs reprises. Elle souhaitait tout léguer à l’association mais hésitait avec une association pour les animaux. Ce sont des témoignages touchants car ces personnes souhaitent entretenir un lien et viendront probablement plus facilement grâce à des échanges authentiques. Il faut que l’on amène ces gens à se questionner et à statuer sur ce qu’ils veulent léguer, de leur vivant ! On passe notre temps à organiser notre vie, alors dans ce cas, c’est comme un dernier voyage à organiser et c’est ça qui a de la valeur. Continuer de faire vivre ses convictions, un mouvement important à ses yeux, même après ce dernier voyage.
Vous semblez particulièrement touchée par chaque donation, avez-vous un petit rituel pour rendre hommage à ces donateurs ?
S.F. : L’association a eu la chance de recevoir quatre appartements. La plupart ont été vendus sauf celui de Paris. Concernant ce dernier bien, les amis de la défunte m’ont offert un beau collier. Je l’ai donc mis dans un cadre avec un mot rappelant que dans cet appartement, il y aura toujours « Paulette » puisque la défunte s’appelait ainsi. Je voulais que l’équipe qui travaille avec moi sache que cet appartement a une histoire, une vie. J’ai à cœur d’humaniser ces legs. Parce qu’à cela, il faut ajouter qu’en tant que présidente responsable de l’association, en présence du notaire et d’un avocat, il faut procéder à la reconnaissance du bien légué. Alors, vous pénétrez dans un logement où tout est resté tel que le défunt le voulait au moment de son décès. Vous avez la vie, les souvenirs, les affaires d’une personne, intactes. Et mon rôle de présidente m’oblige à ouvrir les placards et reconnaître les biens qui sont à l’intérieur. Je m’attèle à cette lourde tâche, car c’est mon rôle de présidente. Alors, je fais en sorte de ne jamais jeter tout ce qui est le meublant en appelant en général des associations ou des gens dans le besoin qui pourraient faire vivre encore un peu ces biens si précieux. Tout est réalisé sous ma surveillance. Et je repars toujours avec quelque chose que je garde comme un souvenir à l’appartement de l’association pour me rappeler des personnes qui ont légué leurs biens. Ces dons sont tellement incroyables qu’il faut tout faire pour que ces personnes-là continuent de vivre au travers de l’association certes, mais aussi dans notre cœur.
Pourriez-vous nous dire quelles ont été les grandes avancées de l’Association grâce aux legs que vous avez pu recevoir ?
S.F. : La particularité de l’association ? C’est d’avoir un comité scientifique et médicalde 21 professeurs hématologues chercheurs. Avec eux, on sélectionne les projets de recherche qui sont les plus prometteurs. Cette équipe est fantastique, digne de confiance. Les leucémies sont des maladies, qui étaient rares il y a vingt ans. Et la recherche est bien loin d’être terminée.
Chaque année, nous nous fixons un objectif minimum de 500 000 euros de dons. Chaque legs justement, est une opportunité de financer des recherches qu’on n’aurait pas pu financer en temps normal, parce qu’on n’a pas eu assez d’argent. Alors, les donations permettent de lancer des projets de recherche. En France, pour voir naître un projet de recherche, il faut que ce dernier soit publié dans un grand journal scientifique. Notre comité choisit alors des projets sérieux qui n’existent pas. On nous transmet une idée du montant nécessaire au financement du projet. C’est beaucoup d’argent à chaque fois et je regrette de ne pas pouvoir tout financer. Alors, on va sélectionner ces start-ups, ces gens qui commencent et qui ont besoin de l’association pour démarrer un jour leur projet ! Ils ont beaucoup de difficultés à trouver des financements, c’est la raison pour laquelle nos chercheurs partent aux États-Unis ou en Allemagne. Là-bas, chaque fois qu’ils arrivent avec une belle idée, les laboratoires sont derrière et les surfinancent. Les projets nés de Français voient donc le jour à l’étranger ! Pour éviter cela, on aide ces start-ups, on leur donne les moyens de rester en France et de travailler sur leurs projets pour ensuite aller chercher l’argent dans les grosses institutions qui vont les suivre pendant des années. En 2022, nous avons trois projets en cours. L’un deux a été sélectionné à deux reprises et nous a remercié de lui avoir donné une chance de poursuivre ses recherches et d’arriver à la publication tant espérée. C’est un véritable bonheur pour nous de savoir que ce qu’ils ont fait va permettre à terme à un patient de recevoir un jour un traitement. Dans cette association, on travaille vraiment main dans la main, du donateur, aux chercheurs, jusqu’aux patients.
Quelles sont les petites actions, les petits gestes du quotidien qui peuvent pallier l’incapacité à donner de l’argent ?
S.F. : Evidemment, quand on s’engage dans l’association en tant que bénévoles par exemple, c’est un vrai engagement. C’est une formation qui nécessite d’être disponible au moins quelques fois par trimestre. Il n’y a pas de petit engagement, de grand engagement, un engagement c’est un engagement et doit être respecté. Il y a tout le temps quelque chose à faire à l’association. Ça peut être aussi du travail de terrain. Nous avons des événements du début de l’année jusqu’à la fin ! Il peut s’agir du mécénat de compétence : une imprimerie qui prend en charge l’impression de vos documents à titre gracieux, sur une période donnée. Il peut aussi s’agir du savoir-faire des gens mis à contribution de l’association. Les étudiants peuvent intervenir dans les écoles, sticker les livres reçus des maisons d’édition, distribuer ces mêmes livres aux enfants. Les bénévoles peuvent aussi être force de proposition et lancer un projet de collecte de jouets, de vêtements dans leur ville, au travail. D’autres proposent leur logement pour accueillir les mamans d’enfants malades qui n’ont pas les moyens de louer une chambre d’hôtel. Proches de l’hôpital, ces mamans, ces familles, peuvent profiter de leur enfant, les accompagner parfois jusqu’au dernier souffle. Nos hôtels partenaires peuvent héberger les familles des malades, à condition qu’ils aient de la place. Mais cela va encore plus loin ! Les maisons de vacances permettent à des familles de partir quelques jours pour y passer de jolis moments, après avoir lutté contre la maladie. Nous devons créer un monde où les gens retrouvent ces valeurs fondamentales d’entraide, de solidarité, que nous sommes en train de perdre.
Pour finir, quel message aimeriez-vous transmettre aux jeunes générations concernant l’importance de soutenir les associations ?
S.F. : Il y a un message qui me tient à cœur et qui est mon moteur de vie. Ne visez pas forcément le bout du monde. Regardez tous les jours devant vous, dans la rue, en marchant. Regardez les personnes qui sont à côté de vous. Prenez la peine de savoir si quelqu’un à vos côtés a besoin de vous. Ayez un regard sincère. J’ai toujours transmis ce message à ma petite Laurette afin qu’elle aide les personnes âgées qu’elle croise, qu’elle laisse sa place dans le bus, qu’elle porte les sacs de nos aînés dans les escaliers. Parce qu’aujourd’hui, c’est terrible, les personnes âgées sont mises en garde contre les plus jeunes générations. Alors, reprenons le temps de regarder à côté, prenons le temps de nous aimer et de réinstaller de vraies valeurs. Et elles sont simples ces valeurs : elles sont l’attention que l’on peut apporter à quelqu’un d’autre. Elles sont le temps que l’on peut donner à quelqu’un qui en a besoin. Prendre le temps, prendre du temps pour aimer, pour regarder, pour apprécier ce qu’il est devant nous.
Celle qui œuvre depuis presque vingt ans contre les leucémies, le rend bien aux personnes qui ont à cœur de léguer leur patrimoine à l’Association Laurette Fugain. Durant une heure, Stéphanie Fugain s’est livrée sur les moments forts qu’elle a pu vivre grâce aux donations et l’importance que chacun d’eux a. Bien plus que des dons financiers, les legs se veulent porteurs d’espoir, d’amour, et la fondatrice ne manque pas d’idées pour faire vivre le souvenir des donateurs. Fière de son combat, de l’évolution de la fondation, elle incarne elle-même avec authenticité ces valeurs fondamentales au sein de l’Association. Chaque branche de celle-ci est pensée pour ouvrir les yeux sur le monde qui nous entoure et aider son prochain : du chercheur, aux malades, en passant par les donations si précieuses qui font, peu à peu, avancer la recherche sur la leucémie.
(Crédit photo : iStock & Association Laurette Fugain)