En mars 2022, l’ouvrage de référence américain répertoriant l’ensemble des troubles mentaux, le DSM 5, a révisé l’un de ses textes pour y conclure la pathologie du “deuil prolongé”. Il s’agirait de la persistance des troubles liés au deuil, plus d’un an après le décès d’un proche. Comment se caractérise ce deuil dit “prolongé” ? Pourquoi est-ce devenu une pathologie ? Aussi, pourquoi cette nouvelle maladie mentale est-elle décriée ? Tour d’horizon.
Qu’est-ce que le trouble du deuil prolongé ?
Nouvelle pathologie ajoutée à la liste des troubles mentaux dans le DSM 5, le trouble du deuil prolongé est une notion complexe. Pour rappel, le DSM est le Manuel des Diagnostics et des Statistiques des Troubles Mentaux. Il répertorient l’ensemble des troubles mentaux pouvant exister.
L’ouvrage de référence américain définit alors le deuil prolongé ainsi :
“Le trouble du deuil prolongé peut survenir après le décès d’une personne proche dans un délai d’au moins 6 mois; quand il s’agit d’un enfant ou d’un adolescent qui a été perdu, le délai est rallongé jusqu’à un an. Vous pouvez ressentir une profonde nostalgie pour la personne décédée et faire une fixation sur ce genre de pensée. Cela peut rendre difficile le fonctionnement à la maison, au travail et dans d’autres contextes importants ; c’est un diagnostic fonctionnel. Voici quelques signes avant coureur de ce trouble : l’impression qu’une partie de vous est morte, un sentiment d’incrédulité face à la mort, éviter les rappels de la mort qui concerne la personne, une forte douleur émotionnelle liée au décès, colère, amertume, tristesse. Difficultés à poursuivre sa vie, socialiser avec des amis, poursuivre ses intérêts, planifier l’avenir. Engourdissement émotionnel, sentiment que la vie n’a pas de sens, solitude extrême… avoir du mal à se souvenir des souvenirs positifs qui concernent la personne…etc.”
Pourquoi est-ce devenu une pathologie reconnue par le DSM 5 mais contestée par les experts ?
Le deuil peut s’avérer être une pathologie. Le deuil pathologique correspond à l’exacerbation d’émotions telles que la culpabilité, la dépression, l’altération de l’estime de soi, l’identification au défunt, pouvant même se transformer en idées délirantes d’après le CAIRN.
Par deuil prolongé, on entend donc un état sévère qui perdure dans le temps indiqué dans le DMS-5. Toutefois, certains spécialistes tendent à réfuter cette pathologie. On sait combien le deuil est personnel, unique. Il s’agit d’un processus suivant des étapes, certes, mais qui sont intrinsèquement liées à la personne endeuillée, son histoire, ses blessures, son identité, son lien avec le défunt, etc. Pour beaucoup, il ne s’agirait que de l’expression d’un chagrin “normal” qui, s’il devient pathologique, tend à culpabiliser les endeuillés qui ne parviennent pas à se remettre de la perte d’un être cher “dans les délais impartis”.
Patrick Landman, opposé aux DMS 5, a été reçu par France Culture. Lors d’une interview, le psychiatre, pédopsychiatre, psychanalyste, indique qu‘il ne faut pas confondre chagrin prolongé et deuil pathologique. Un deuil peut être long puisque propre à chacun, et ce dernier peut effectivement déclencher des pathologies face au choc de la perte. Selon l’expert, le deuil prolongé n’est donc pas une pathologie mais des émotions naturelles dans le processus de deuil. Un deuil pathologique est parfois synonyme de tentatives de suicide, de délires, de perte de contrôle de l’endeuillé, souvent aux prémisses du deuil. Instituer le deuil prolongé comme une maladie mentale tend à renforcer l’isolement des personnes concernées. Endeuillées ? Puis malades ? Comment gérer ce flux d’informations pour s’en sortir ? Consulter ou ne pas consulter ? Laisser le temps faire ?
Consulter un spécialiste pour traverser le deuil
Traverser un deuil est une épreuve de la vie. Chaque deuil est différent selon les personnes. La consultation auprès d’un psychologue ou d’un psychiatre lorsque les troubles engendrés par le deuil sont importants, peut être utile pour vous accompagner dans le deuil.
Ce n’est pas obligatoire, car il s’agit d’un travail d’acceptation de la situation, qui se fait avec le temps. Le processus de deuil, suivant généralement des étapes clés, demande des semaines, des mois voire des années. On ne se remet jamais véritablement de la perte d’un être cher, il s’agit plus de “vivre avec” que d’une authentique guérison.
Ainsi, certains signes doivent quand même vous alerter si vous êtes endeuillé : l’insomnie persistante, entre autres. De l’ordre du trouble psychique, l’insomnie révèle un mal-être, une profonde tristesse qui doit être prise en charge. Dormir est nécessaire au bien-être d’un individu, c’est un cercle vicieux qui s’enclenche dès lors que l’insomnie apparaît.
En consultant un psychologue, vous pourrez alors diagnostiquer ou non un deuil prolongé. Pour cela, les experts pourront vous poser quelques questions comme les suivantes :
- Dans le dernier mois, combien de fois avez-vous ressenti de la nostalgie
envers la personne que vous avez perdue ? - Dans le dernier mois, combien de fois avez-vous éprouvé des sentiments intenses de douleur émotionnelle ou du chagrin en lien avec la personne que vous avez perdue ?
- Avez-vous ressenti un ou plusieurs des symptômes décrits dans les questions 1 et 2 au moins une fois par jour ET ressentez-vous encore au moins un décès symptômes 6 mois après le décès ?
- Dans le dernier mois, combien de fois avez-vous fait des efforts pour éviter de vous rappeler que la personne que vous avez perdue est décédée ?
- Dans le dernier mois, combien de fois vous êtes-vous senti(e) assommé(e), hébété(e) ou en état de choc en raison de votre perte ?
Si vous estimez que vous pouvez répondre “beaucoup de fois” à ces questions, il serait utile de consulter un psychologue pour vous aider à traverser votre deuil plus sereinement.
Cette nouvelle pathologie est un sujet sensible tant pour les endeuillés que pour les professionnels du métier. Il est question du chagrin lié à la perte d’une personne importante dans la vie d’un individu. Ne pas souffrir du deuil prolongé pourrait créer de nouveaux troubles tels que la culpabilité, le questionnement perpétuel, etc. De la même manière, souffrir de deuil prolongé pourrait isoler de plus belle les patients qui en souffrent car catégorisés comme “malades”.
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