En Australie, les rites funéraires des aborigènes relèvent du sorry business. Alliant tristesse du deuil et savoir-faire, ce sorry business regroupe l’ensemble des cérémonies funéraires aborigènes. Retour sur des pratiques bien différentes de celles que l’on connaît en France.
L’annonce de la mort
La communauté aborigène considère le décès d’un être cher comme une annonce sociale à réaliser. Cela concerne l’ensemble d’une communauté, là où les rites occidentaux admettent la mort comme individualiste.
Ainsi, dès qu’un décès est annoncé, tout un processus de lamentations est enclenché par les sorry business. Ces lamentations ont lieu dans la demeure des proches du défunt, pour finir par se diffuser dans toute la communauté.
Les lamentations sont parfois accompagnées de blessures corporelles que les proches s’infligent à l’annonce d’une mort. Cela varie en fonction des hommes et des femmes et peuvent paraître violentes. Les hommes se transpercent la cuisse avec un javelot quand les femmes se donnent des coups à la tête à l’aide de leur poing ou d’une pierre. Il n’est pas rare de voir les proches endeuillés se couper les cheveux, comme pour représenter la perte d’une partie d’eux-mêmes.
Ces blessures les accompagnent donc tout au long de leur vie et leur rappellent quotidiennement les personnes importantes décédées.
La vie du défunt
Le sorry business impose des règles strictes entourant le défunt, une fois sa mort prononcée.
D’abord, sa demeure reste vide pendant plusieurs mois. Personne ne doit s’y rendre. De la même manière, l’ensemble de ses effets personnels est détruit ou brûlé (dans la majeure partie des cas). Il arrive parfois que les possessions du défunt soit redistribuées dans une autre communauté.
Les aborigènes admettent que le défunt, tout ce qui lui appartenait de près ou de loin, devient tabou. Il s’agit alors de vivre comme si cette personne n’avait pas existé, à tel point que son nom ne doit par ailleurs pas être prononcé. Cela s’étend aux proches ayant le même nom, mais aussi à tout autre nom aux sonorités proches, les noms communs (objets, marques, localisations…). Ce nom sera remplacé par kumantjayi.
De plus, les femmes de la communauté doivent purifier les lieux fréquentés par le défunt. Elles s’arment donc de branches, d’eucalyptus ou d’acacia, pour balayer le sol des traces du défunt, appelées tjina.
Les sorry camps
Les aborigènes poursuivent les rituels à l’annonce du décès d’un défunt. Ainsi, un sorry camp est bâti. Cette structure de bois et de métal accueille les proches du défunt qui ont l’interdiction d’arpenter les rues de la communauté de l’être cher décédé. Il faut attendre que les parents proches du défunt, hors de la communauté, viennent “payer leur respect”, pour qu’ils puissent en sortir.
Les traditions ne s’arrêtent pas là puisque les résidents du sorry camp s’enduisent d’ocre blanc, appelé kaolin. Chez les aborigènes, le blanc représente le deuil. Cet espace est le lieu de rencontre des proches du défunt, qui viennent alors adresser leurs condoléances tout en offrant de nombreux dons (farine, thé, couverture…). L’usage veut que les gens s’enlacent sans prononcer un mot. Seuls les pleurs résonnent, ainsi que des chants traditionnels. Durant cette période, qui peut durer plusieurs semaines ou plusieurs mois, les aborigènes ne travaillent pas. Ils considèrent que leurs pleurs, leur deuil, est l’objet de toute leur attention.
La loi Ancestrale plus forte que tout
Lors d’un deuil, la loi ancestrale doit être scrupuleusement respectée par les parents du défunt.
Ainsi, les parents proches de l’être cher disparu ont pour obligation de venir aux obsèques du défunt, et au sorry business. La loi Ancestrale les y oblige, même si cette venue nécessite de longues heures de trajet et un coût important. A noter que la population aborigène est pauvre et vit principalement grâce à l’état. Les proches doivent tout mettre en œuvre pour venir, quitte à perdre leur emploi.
Que risquent les proches s’ils ne respectent pas cette tradition ? Des représailles physiques. Les aborigènes voient en ce sorry business, l’expression d’une peine immense, mais aussi la représentation d’une responsabilité face à la vague de solidarité naissante à la mort d’un proche.
Dans le cas où un proche ne peut véritablement pas venir, pour quelle que raison que ce soit, il s’inflige des blessures pour montrer à sa communauté qu’il partage leur peine.
Les funérailles
Alors qu’en France, les funérailles doivent être célébrées six jours maximum après le décès, il en est autrement chez les aborigènes.
La famille du défunt choisit la date adéquate, qui peut être fixée des semaines voire des mois après le décès. L’objectif étant de s’assurer que l’ensemble des proches du défunt puissent être présents lors des funérailles.
La communauté vit au rythme des funérailles le jour J. Tant que le cercueil n’est pas mis en terre, les commerces doivent fermer et personne ne doit emprunter les routes en voiture. La seule sortie autorisée est celle de la messe funéraire.
La cérémonie sera ponctuée d’interventions de la famille, qui aura choisi un code couleurs selon les liens de parentés. A noter que certains membres ne peuvent venir ni au sorry camp ni aux funérailles (cela dépend du défunt).
Les cimetières étaient peu fréquentés auparavant même si cette tendance évolue de nos jours. Aussi, il arrive de voir quelques photos sur les sépultures des défunts, fait inconcevable dans les années 80 car la loi Ancestrale interdit d’exposer des clichés de personnes décédées.
Les rites funéraires aborigènes font l’objet d’une solidarité à toute épreuve. Les pleurs, cris et lamentations représentent la douleur ressentie face à la disparition d’un être cher. Aussi, il arrive que les défunts réapparaissent dans les rêves des endeuillés, qui pleureront alors pour exprimer leur peine. Les autres membres de la communauté, en signe de respect et de fraternité, pleureront également.
(Crédit photo : istock / Sources : Mort et mondes autochtones, revue Frontières)