Claude Maman, Grand Rabbin Régional P.I et Conseiller du Grand Rabbin de France en charge des derniers devoirs, nous livre les secrets des cimetières juifs en France. A travers le temps et les époques, les cimetières juifs ont évolué. Comment sont nés les rites funéraires entourant les cimetières juifs ? Quelles sont les traditions ? Explications.
L’histoire religieuse autour des cimetières juifs
Notre patriarche Abraham, après le décès de Sarah, supplie les enfants de Hett d’intervenir auprès de Efron pour obtenir une sépulture digne d’elle. Malgré la bonne volonté non désintéressée du maître des lieux, Abraham acquiert la caverne de Hevron au prix fort de 400 pièces d’or.
C’est dire l’importance qu’accorde notre patriarche au devoir sacré d’inhumer son épouse dans un caveau éternel où il reposera plus tard lui-même ainsi que son fils Isaac et Rivka. Quelque temps après, Lea tout comme notre patriarche Jacob y reposeront. Ce dernier a d’ailleurs fait jurer son fils Joseph de transférer son corps d’Egypte afin de reposer auprès de ses aïeux. Joseph recommandera à son tour à ses frères de prendre ses restes lorsque l’Eternel les délivrera de l’exil égyptien. Et c’est ainsi que Moise lui même se charge de respecter les dernières volontés de Joseph en recherchant le cercueil de ce-dernier pour le ramener en Terre d’Israël.
Tout au long des siècles le peuple juif a toujours respecté ses morts. Très souvent, au prix de lourds sacrifices, par exemple en Espagne comme dans d’autres pays. Exemple de la ville de Vittoria au nord de l’Espagne : les juifs, avant leur expulsion, ont négocié à prix d’or pour qu’aucune route ni construction n’occupe l’emplacement de leur cimetière. A défaut, ils acceptèrent qu’un parc y soit installé. Au 18e siècle, une route devait le traverser. La municipalité trouva dans ses archives, l’engagement pris par les anciens. Afin de tenter de le lever, elle s’adressa à la Communauté juive la plus proche, à savoir celle de Bayonne. Celle-ci a estimé ne pas être en mesure d’annuler le serment fait à ses aïeux. Et c’est ainsi qu’une route contourne la place où se trouvait l’ancien cimetière juif.
Du cimetière confessionnel au carré confessionnel
Les cimetières confessionnels sont les propriétés privées des Consistoires. Ils ont été créés avant la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905. Les concessions sont perpétuelles.
Dans la tradition juive, on exhume jamais les corps sauf rares exceptions, par exemple lors du regroupement familial ou d’une réinhumation en Terre Sainte. Sinon, le judaïsme considère que le défunt a acquis sa place pour l’éternité.
Depuis l’interdiction de créer des cimetières confessionnels, la loi enjoint aux municipalités de créer des carrés confessionnels gérés par la commune conformément à la circulaire ministérielle Alliot Marie et reprise par celle de Hortefeux. Par contre ces carrés confessionnels ne sont pas des concessions perpétuelles mais des concessions de 10, 20, 30, 50 ans renouvelables. Encore faut il qu’il y ait des ascendants en mesure de les renouveler car la crémation est strictement interdite par le judaïsme. En effet il y a lieu de respecter l’intégrité du corps comme il est dit dans la Bible « tu viens de la poussière et tu retournes à la poussière ».
Des carrés juifs dans le respect du judaïsme
Sur le plan religieux, les carrés confessionnels sont règlementés. Il faut soit une séparation de 2 mètres avec les autres carrés ou alors des fusains d’un mètre de hauteur.
Cependant la circulaire de 2008 en vigueur n’empêche pas une inhumation de confession non-israélite dans le carré.
Il y a également la possibilité de créer des caveaux de plusieurs places cependant il faut une séparation de 66 centimètres entre les corps.
Les carrés confessionnels de France
En Île de France où il n’y a que des carrés confessionnels, les Parisiens prennent des concessions à durée limitée ou se tournent vers Israël ce qui n’est pas à la portée de tout un chacun. C’est aussi sans compter la difficulté de pouvoir se recueillir régulièrement devant la sépulture d’un être cher.
Le judaïsme qui ne s’attache pas au matérialisme mais au spirituel prend toutefois en considération que la tombe est la porte du ciel où se sépare l’âme du corps. De là naît l’importance du pèlerinage sur ses lieux à l’occasion des anniversaires de décès ou la veille des Fêtes religieuses.
En ma qualité de responsable national, auprès du Grand Rabbin de France des Derniers Devoirs, et à la demande du Ministère de l’Intérieur, j’ai recensé 46 cimetières sur tout le territoire national.
Dans le Sud-ouest, 9 cimetières existent dont 3 seulement à Bordeaux. L’un deux est totalement complet. Dans les Pyrénées Atlantiques, on en comptabilise 6 datant du 16-18ème siècle dont un en service à Bayonne et un en service à Peyrorade. Ces derniers sont gérés par le Consistoire de Bayonne. Tous ces cimetières confessionnels ont été créés par les juifs expulsés d’Espagne et du Portugal. Le plus récent sur les trois de Peyrorade, dispose de nombreuses concessions perpétuelles qui pourraient être mises à la disposition des communautés. Bayonne se propose de tout organiser : cérémonies d’obsèques, prières et respect du culte des familles visant à accomplir leurs devoirs dans le strict respect des lois du judaïsme.
Pour conclure je dirais qu’on doit tout faire pour respecter la mémoire de nos parents. Comme le disent nos Sages, on a plus de mérite « après leur disparition plus que de leur vivant », car ils ne sont plus là pour nous exprimer, par leur affection, leur reconnaissance.